Super-pouvoir n°1

Invasion cellulaire

Accueil / Invasion cellulaire

Rencontrez le blob, une anomalie vivante

Il n’a pas de cerveau, mais il apprend. Pas de bouche, mais il digère. Pas (encore) de plan machiavélique, mais il s’étend, survit, se répare, se clone. Si vous pensez avoir affaire à une simple flaque d’ADN paresseuse, détrompez-vous.

Il est à lui seul un doigt gluant tendu aux définitions classiques de la biologie.
Voici 5 de ses talents les plus troublants !

⌚ Temps de lecture : 5 min

Cellule tentaculaire

Trouvez les blobs !

Confondre blob et death metal : une erreur classique de biologiste peu averti. Seul le retrait du filtre jaune permet parfois de faire la différence entre un groupe de death metal et un blob.

Dessinez un cercle, remplissez-le d’eau, ajoutez un soupçon de jaune : à quelques détails près, vous voilà face à un blob.

Ne vous laissez pas berner par cette pompeuse démonstration arborescente: le blob n’est en fait qu’une seule et unique cellule.

Oui, une seule. Ni un patchwork de petites unités, ni un collectif bien organisé. Une. Seule. Grosse. Cellule.

Rien à voir avec le modèle ennuyeux et sagement sphérique des manuels de SVT.

Ici, vous avez affaire à une supercellule tentaculaire, capable de s’étendre sur plusieurs mètres carrés tout en gardant la même structure de base.

À l’intérieur ? Zéro cloison, zéro membrane interne.

Aucune frontière.

Rien qu’un immense réseau interconnecté : un système ouvert où tout communique en temps réel. Nutriments, signaux, organites — tout circule dans le grand bain cytoplasmique, propulsé à un rythme régulier par un mécanisme bien à lui.

🎬 Blobbuster des années 50

Blob, vous avez dit Blob ?

Un nom tout droit sorti d’un vieux film d’horreur culte : The Blob (1958).

Un monstre gluant, rusé, vorace… et assez charismatique pour inspirer les scientifiques.

Depuis, le mot désigne de vrais organismes : les myxomycètes, tapis dans les forêts depuis 500 millions à 1 milliard d’années.

Mais la vedette des labos a un nom bien à elle :

Physarum polycephalum, alias “petite vessie à plusieurs têtes”.

⚠️ Spoiler : si la vie est un film, cette créature-là gagne en finissant dans tous les labos du monde.

Phase 1

La course mortelle

A première vue : le blob semble figé. Immobile. Comme en pause.

Quelques minutes passent. Observez-le de nouveau, et vous commencerez peut-être à en douter. Laissez-le sans surveillance une demi journée et vous serez bluffé.

Pas de pattes, pas de cils, pas de flagelle : le blob ne marche pas, il pulse.

À intervalles réguliers, ses tubes se contractent et se relâchent, propulsant le cytoplasme d’avant en arrière dans un mouvement appelé flux navette – dites “shuttle streaming” autour d’un café avec des biologistes anglophones (1).

Résultat ? Le blob roule sur lui-même, tel un sac de gelée sous pression. Sa démarche est singulière : deux pas en avant, un pas en arrière… et il recommence, glissant vers sa prochaine cible, lentement mais sûrement.

Pas mal pour un organisme sans muscles ni carburant fossile.

Gelée bodybuildée

Ok pas de biceps ni de “six pack”, mais pour avancer, le blob doit-il pour autant compter sur l’opération du saint esprit ?

 

Au nom du Père, du Fils, de l’Actine et de la Myosine.

 

Vous êtes plus familier que vous ne le pensez avec ces deux protéines : organisées en fibres dans vos muscles, elles vous permettent, vous, grand mammifère bipède, de lever un sourcil (ou une haltère).

Quel honneur de les partager… avec ce pudding ancestral ambulant.

Chez le blob, pas de fibre musculaire. Mais un maillage d’actine et de myosine directement intégré à la membrane, prêt à se contracter sur toute sa surface. Chez un concessionnaire, la fiche produit indiquerait : “réseau contractile intégré – équipement de série.”

Pour l’animer, deux ingrédients-clés : l’ATP (Adénosine TriPhosphate), carburant moléculaire bien connu, et le calcium, qui joue ici un rôle… surprenant.

Chez vous, le calcium déclenche la contraction. Chez le blob, c’est l’inverse : il l’interrompt (2,3).

Une même molécule, deux effets opposés — de quoi désarçonner même les plus calés en biochimie.

Mais dans les deux cas, le résultat est là : des milliers de mini-moteurs biologiques actine-myosine, se contractant à l’unisson.

Prenez un peu de recul, vous verrez alors une vague ondulante parcourir le blob, propulsant son cytoplasme et réorganisant tout son réseau en continu (4,5).

Objectif ? Avancer et trouver le chemin le plus court. Un jeu d’optimisation pour lequel le blob est redoutable. Meilleur même que les ingénieurs humains.

Oui, c’est lent. Mais évitez tout de même de vous endormir trop longtemps.

(Et si vous vous demandez comment un organisme sans tête parvient à piloter tout ça… patience : on en parle bientôt, dans “Génie sans neurones”.)

Et maintenant qu’il maîtrise ses déplacements, il est temps pour lui de grandir. Vraiment grandir.

Phase 2

Croissance sans limite

Saviez-vous que le blob est capable de doubler de taille chaque jour ? (6)

Un petit jeu, pour tester vos nerfs logiques :

Si un blob met 30 jours à recouvrir un sous-bois, combien de temps lui faut-il pour en couvrir… la moitié ?

Vous hésitez ? Vous dites 15 jours ?

Raté. La bonne réponse, c’est 29.

Car si le blob double de taille chaque jour, il atteint la moitié de sa surface totale la veille seulement. C’est la logique vertigineuse de la croissance exponentielle. Une croissance qui semble anodine au début, puis bascule soudainement dans des proportions inouïes.

Les bactéries ont aussi le sens du nombre : une devient deux, deux deviennent quatre, puis huit, seize… et en un clin d’œil, une armée cataclysmique est levée.

Vraiment ?

Vraiment.

Chez E. coli par exemple, une seule bactérie se divise toutes les 20 minutes (7). Le résultat au bout d’une journée ?

Un nombre à 22 chiffres : vous voilà avec près de 5 000 milliards de milliards de bestioles !

Mais le blob, lui, ajoute un twist plus inquiétant encore : il ne se divise même pas. Il s’étale.

Toujours une seule cellule. Mais qui s’allonge. Se répand. Insiste. Encore. Et encore.

Parmi les plus grandes cellules du monde vivant : l’œuf d’autruche (1,5 kg), le thalle – la “feuille”- de certaines algues (Caulerpa taxifolia) (≈3 m) (8), le neurone des calmar géant( ≈ 12 m) (9) ou de baleine (≈ 30 m) (10). Mais toutes ont une forme définie, une croissance finie, un plan.

Le blob, lui, n’a pas de limite théorique de taille.

Grace à sa structure archi-simplifiée, le blob déverrouille : l’infini !

🏅 Blob-Records

Quizz express : l’un de ces records est peut-être bidon. Saurez-vous deviner lequel ?

  1. En labo : 10 m² (Université de Bonn, Allemagne)
  2. A l’école : 53 m de long (Lycée de Châteauroux, France)
  3. En nature : 1,3 km² (Appalaches, USA) ?

✅ Réponse

Le n°1… et, un peu le n°3.

Deux records souvent diffusés par la biologiste Audrey Dussutour, mais à nuancer :

Le fameux blob de l’Université de Bonn ? Annoncé à 10 m², les archives parlent plutôt de 5,54 m² (12) — ce qui reste une belle performance.

Quant au “géant” des Appalaches, les chiffres sont bons… sauf qu’il s’agissait de fragments du même individu éparpillés sur 1,3 km² (13). Pas de photo choc : le monstre qu’on imaginait appartient à la légende des Mytho-mycètes.

Finalement, le seul record parfaitement documenté est celui de 2021 au lycée de Châteauroux (14)… dirigé par Dussutour elle-même. Comme quoi, pour les records, on n’est jamais mieux servi que par soi-même.

📷 Photo ci-contre (F. Achenbach) : Le professeur Karl-Ernst Wohlfarth-Bottermann (à droite) – précurseur allemand de la recherche sur le blob – pose avec un blob géant de 5,54 m², cultivé en son honneur à l’Institut de cytologie de Bonn. Un hommage officiellement inscrit au Guinness Book des Records de 1989.

Phase 3

Les dents de la Terre

Par quelle bouche serons-nous mangés ? Chez le blob, on a beau chercher… il n’y en a pas.

Son arme fatale ? La phagocytose (15).

Un blob prédatant des bactéries. Afin de vous épargner la violence de ces images, nous avons reconstitué la scène avec du sirop d’agave, du curcuma et des graines de fenouil.

Pas de mâchoire, pas de dents, le blob englobe sa proie pour en extraire les précieuses molécules à sa surface : protéines, lipides, glucides.

Il s’enroule lentement autour de ces nutriments jusqu’à former une petite chambre digestive. Là, il déverse ses enzymes — des milliers de minuscules ciseaux biologiques — qui découpent méthodiquement les grosses molécules en fragments assimilables (16).

Les nutriments sont absorbés. Les déchets, expulsés.

En silence.

Mais ce calme n’a rien d’inoffensif.

Partout à sa surface, de nouveaux sites de phagocytose peuvent s’activer en parallèle, pour peu que le blob ait assez d’enzymes et d’énergie (ATP) en réserve. Comme une armée de petites pinces invisibles, il racle son environnement, miette par miette. Une opération lente, méthodique — et implacable.

Dans le milieu, on le surnomme “le nettoyeur”.

S’il ne consomme jamais sa proie entièrement — se contentant d’en grignoter l’extérieur — il laisse derrière lui un voile translucide de mucus, gorgé de déchets organiques (16).

Dans les forêts, ce tapis nourrira les plantes.

Un geste presque généreux… s’il n’était pas le vestige d’un appétit rampant.

Et si votre chère carcasse… connaissait le même destin ?
Après tout, ce n’est peut être pas une coïncidence si le “death” metal revêt l’apparence d’un myxomycète.

Phase finale

La faim du monde

En dehors des scénaristes de film d’horreur, les biologistes sont plutôt confiants à ce sujet.

Le blob vit dans un écosystème, pas dans un blockbuster.

Son développement est canalisé par la disponibilité de ses proies (champignons, bactéries, protistes, débris végétaux)… mais aussi par ses prédateurs.

Les limaces en raffolent, les acariens le grignotent (17), certains coléoptères le mordillent à l’occasion (18). Ainsi, la chaîne alimentaire le garde (jusqu’à présent) sous contrôle.

Et puis, sans humidité, il s’endort. Trop de lumière ? Il bat en retraite. Pas terrible pour une grande invasion.

Gardez tout de même un œil vigilant sur la bestiole : car si vous deviez riposter d’une attaque de blob, un katana à la main, je fais le pari que vous ne devinerez jamais de quoi il est capable…

Au prochain épisode

La résilience de l’Hydre

Un monstre antique en boite de Petri !

📚 Références

  1. Kamiya, N. (1950)The rate of the protoplasmic flow in the myxomycete plasmodium I. Cytologia 15(3): 183–193. DOI : 10.1508/cytologia.15.183
  2. Nakamura, A. & Kohama, K. (1999)Calcium regulation of the actin-myosin interaction of Physarum polycephalum. International Review of Cytology 191: 53–98. DOI : 10.1016/S0074-7696(08)60157-6
  3. Kohama, K. & Kendrick-Jones, J. (1986)The inhibitory Ca²⁺-regulation of the actin-activated Mg-ATPase activity of myosin from Physarum polycephalum plasmodia. Journal of Biochemistry 99(5): 1433–1446. DOI : 10.1093/oxfordjournals.jbchem.a135613
  4. Alim, K., Amselem, G., Peaudecerf, F., Brenner, M. P. & Pringle, A. (2013)Random network peristalsis in Physarum polycephalum organizes fluid flows across an individual. Proceedings of the National Academy of Sciences USA 110(33): 13306–13311. DOI : 10.1073/pnas.1305049110
  5. Saiseau, R., Busson, V. & Durand, M. (2025)Slow modulation of the contraction patterns in Physarum polycephalum. arXiv preprint. DOI : 10.48550/arXiv.2501.02651
  6. [À compléter] — « Blob double de taille »
  7. Govindarajan, D. K., Meghanathan, Y., Sivaramakrishnan, M., et al. (2022)Enterococcus faecalis thrives in dual-species biofilm models under iron-rich conditions. Archives of Microbiology 204: 710. DOI : 10.1007/s00203-022-03309-7
  8. IUCN (2024)Global invasive species database: Physarum polycephalum. International Union for Conservation of Nature. URL : https://www.iucngisd.org/gisd/species.php?sc=115&utm
  9. [À compléter] — « Taille neurone calmar géant »
  10. Smith, D. H. (2009)Stretch growth of integrated axon tracts: extremes and exploitations. Progress in Neurobiology 89(3): 231–239. DOI : 10.1016/j.pneurobio.2009.07.006
  11. Muséum de Toulouse Métropole (2024)Insolite : ni champignon, ni plante, ni animal, ni bactérie, simplement BLOB ! Muséum de Toulouse. URL : https://museum.toulouse-metropole.fr/insolite-ni-champignon-ni-plante-ni-animal-ni-bacterie-simplement-blob/
  12. Schliwa, M. (1997)In Memoriam: Karl-Ernst Wohlfarth-Bottermann (1923–1997). European Journal of Protistology 33: 452–459.
  13. Stephenson, S. L., Clark, J. & Landolt, J. C. (2004)Myxomycetes occurring as single genetic strains in forest soils. Systematics and Geography of Plants 74(2): 287–289.
  14. CNRS (2022)Record du blob le plus long du monde au lycée. CNRS Images. URL : https://images.cnrs.fr/photo/20220072_0001
  15. Mayne, R., Patton, D., de Lacy Costello, B., Adamatzky, A. & Patton, R. C. (2011)On the internalisation, intraplasmodial carriage and excretion of metallic nanoparticles in the slime mould, Physarum polycephalum. International Journal of Nanotechnology and Molecular Computation 3(3): 1–14. DOI : 10.4018/ijnmc.2011070101
  16. Wolf, K. V. & Stockem, W. (1979)Studies on microplasmodia of Physarum polycephalum: Endocytotic activity, morphology of the vacuolar apparatus and defecation mechanism. Protoplasma 99: 125–138. DOI : 10.1007/BF01274074
  17. Michalczyk-Wetula, D., Jakubowska, M., Felska, M., et al. (2021)Tyrophagus putrescentiae (Sarcoptiformes: Acaridae) in the in vitro cultures of slime molds (Mycetozoa): accident, contamination, or interaction? Experimental and Applied Acarology 84: 445–458. DOI : 10.1007/s10493-021-00608-4
  18. Sugiura, S., Fukasawa, Y., Ogawa, R., Kawakami, S.-I. & Yamazaki, K. (2019)Beetles as potential dispersers of slime mold spores. Bulletin of the Ecological Society of America 100(3): e01564. DOI : 10.1002/bes2.1564

Image de couverture créée par Christophe Gouix

Ecrit par

Mylène Durant

Mylène Durant

Biologiste et heureuse fondatrice du Labo du Blob. "J'aime observer les petits détails et tenter de comprendre le fonctionnement des choses."

Le coffret blob qui a du sens

Made in France

Le Labo du Blob est une entreprise originaire de Paris, 100% française. Tous nos produits sont conçus et assemblés en France. Tous nos blobs sont apprivoisés et francophones.

Une vision fun de la Science ?

En achetant nos blobs, vous y contribuez directement !
Chaque commande permet à Mylène de créer de nouvelles vidéos gratuites sur YouTube, propageant ainsi la passion du vivant.

Amoureux de blobs ? Venez !

...et laissez-vous conquérir par un univers scientastique : des idées d’expériences et des anecdotes en vidéo que vous ne découvrirez nulle part ailleurs.

Abonnez-vous maintenant ou…

Le Labo du Blob disparaîtra ! (pour vous)

Vous tenez mordicus à découvrir nos prochaines vidéos ? Alors abonnez-vous ! Et empêchez les machiavéliques algorithmes de YouTube de nous faire disparaître.

0 commentaires

Bien joué !
Vous avez découvert la première partie de

La Bible du Blob !

D'ici quelques secondes, vous allez pouvoir ouvrir ce précieux grimoire et découvrir comment apprivoiser un blob. Vous recevez aussi, à l'occasion, de petites histoires croustillantes sur le Blob avec la Gazette.

Vous allez adorer ce que vous allez y dénicher...


Pour le recevoir gratuitement, entrez votre adresse mail principale juste en dessous :

Génial ! Allez voir vos mails maintenant ! Il se pourrait qu'une surprise vous y attende… IMPORTANT: pensez à vérifier dans "promotions et spams"

Découvrez gratuitement la première partie de

La Bible du Blob !

D'ici quelques secondes, vous allez pouvoir ouvrir ce précieux grimoire et découvrir comment apprivoiser un blob. Vous recevez aussi, à l'occasion, de petites histoires croustillantes sur le Blob avec la Gazette.

Vous allez adorer ce que vous allez y dénicher...


Pour le recevoir gratuitement, entrez votre adresse mail principale juste en dessous :

Génial ! Allez voir vos mails maintenant ! Il se pourrait qu'une surprise vous y attende… IMPORTANT: pensez à vérifier dans "promotions et spams"